Anthropologie du corps et modernité, par David Le Breton (extraits)
Voici quelques passages d'un texte de david Le Breton qui souligne les risques d'une existence trop sédentaire et nous incite à l'entraînement intelligent...
"Depuis le néolithique, l'homme a le même corps, les mêmes potentialités physiques, la même force de résistance aux données fluctuantes du milieu. (...) Jamais sans doute comme aujourd'hui dans les sociétés occidentales, on a aussi peu utilisé la motilité, la mobilité, la résistance physique de l'homme. La dépense nerveuse (stress) a pris historiquement la place de la dépense physique. (...) Les techniques du corps, même les plus élémentaires (marcher, courir, nager, etc.), reculent et ne sont que partiellement sollicitées au cours de la vie quotidienne, le rapport au travail, les déplacements, etc. (...) Les activités possibles du corps, celles par lesquelles le sujet construit la vivacité de sa relation au monde, prend conscience de la qualité de ce qui l'entoure et structure son identité personnelle, tendent à s'atrophier. Dans la vie sociale, le corps est plus souvent vécu sur le mode de l'encombrement, de l'obstacle, source de nervosité ou de fatigue que sur le mode de la jubilation ou de l'écoute d'une possible musique sensorielle. Les activités du sujet consomment davantage d'énergie nerveuse que d'énergie corporelle. D'où l'idée commune aujourd'hui de « bonne fatigue » (liée aux activités physiques) et de «mauvaise fatigue» (liée à la dépense nerveuse). (...) C'est plutôt un autre usage de soi, à travers son corps, qui se fait jour, un souci nouveau : celui de restituer à la condition occidentale la part de chair et de sensorialité qui lui fait défaut. Effort pour rassembler une identité personnelle morcelée dans une société morcelante. La préoccupation croissante pour la santé et la prévention amène aussi au développement de pratiques physiques (jogging, parcours du cœur, etc.). Elle conduit également les acteurs à prêter une conscience plus attentive à leur corps, à leur nourriture, à leur rythme de vie. Elle induit la recherche d'une activité physique régulière. Là aussi se dégage un usage de soi qui vise à restaurer un équilibre rompu, ou délicat à maintenir entre le rythme de la modernité et les rythmes personnels."
Extraits de Anthropologie du corps et modernité,
par David Le Breton, sociologue, PUF, 2003